Comment pouvons-nous explorer et expérimenter de nouveaux modes de gouvernance ?
Primavera De Filippi
Comment pouvons-nous explorer et expérimenter de nouveaux modes de gouvernance ?
Boma France Campfire - 1er juillet 2019
Les peuples invisibles
Selon l'évaluation de la Banque mondiale de 2018, un milliard de personnes dans le monde se retrouve dans l’incapacité de prouver son identité. Ils n'ont pas la documentation nécessaire pour le faire. Par conséquent, ils sont incapables d'accéder aux services de base : utiliser les systèmes bancaires, recevoir une éducation, posséder un téléphone ou participer à des processus politiques, comme le vote. Ce sont les " peuples invisibles" de la Terre, les individus que la société laisse derrière elle.
Afin d'assurer un avenir durable, les Nations Unies notent que nous devons intégrer ces personnes dans la société en leur donnant accès à des identités officielles, y compris concernant l'enregistrement des naissances. Par conséquent, résoudre cette crise d'identité est plus qu'une simple question d'équité et d'égalité. C'est un élément essentiel pour le maintien de la société et la création d'un monde plus stable.
Une identité numérique ?
Au Boma France Campfire, Primavera De Filippi, chercheuse au CERSA et chercheuse associée au Berkman-Klein Center for Internet & Society de l'Université de Harvard, note qu'un événement révolutionnaire s'est récemment produit.
Un pays européen a ouvert ses frontières en offrant ses services à toute personne souhaitant devenir résident numérique. Ce pays, c’est l’Estonie. Pour seulement 100 euros, toute personne obtient une carte d'identité électronique et accéde aux services administratifs du pays. Bien que le pays n'ait lancé ce service qu'en 2014, il compte déjà plus de 50 000 résidents électroniques et environ 5 000 entreprises inscrites. Bien que cette mesure ouvre un certain nombre de portes aux personnes sans identité officielle, elle a également créé un nouveau marché pour les services administratifs publics.
Utiliser la blockchain ?
L'initiative Bitnation devrait concurrencer les formes traditionnelles de gouvernance. La blockchain doit permettre aux personnes qui n'ont pas encore d'identité légale d'accéder aux services d'authentification notariale, d'enregistrer les certificats de naissance, de signer des contrats et de participer à l'économie mondiale.
Elle pourrait se transformer un jour en un système de gouvernement totalement nouveau - un système qui existera en parallèle des systèmes actuels. Pourtant, Primavera De Filippi s'empresse de noter que Bitnation n'est pas le seul acteur à essayer de supplanter les systèmes généralement dirigés par l'État.
"L'initiative Bitnation vise à créer un nouvel État entièrement virtuel qui s'appuie sur la blockchain pour fournir des services administratifs à toute personne souhaitant devenir citoyenne.”
Primavera De Filippi
Boma France Campfire 2019
Quitter la terre ferme ?
Le Seasteading Institute, fondé en 2008 et ayant reçu plus de 1,7 million de dollars en financement de Peter Thiel, vise à créer une série de communautés autonomes et mobiles sur des plates-formes maritimes opérant dans les eaux internationales. Comme l'océan n'est soumis à aucune loi d'aucun état souverain, les fondateurs affirment que chaque plate-forme individuelle pourra fonctionner selon son propre système de gouvernance.
Investir de nouveaux territoires ?
Liberland, une micro-nation fondée en 2015 sur un territoire non revendiqué de 7 km2 entre la Serbie et la Croatie, souhaite établir "un pays où vous pourrez prospérer sans lois et taxes contraignantes, en utilisant une crypto-monnaie officielle." Cette initiative est semblable à Bitnation mais possède un territoire physique.
Expérimenter de nouveaux modèles ?
Il existe une multitude d'autres espaces temporaires qui visent à permettre aux gens de participer à des expériences sociales, économiques ou politiques, comme Burning Man ou Ephemerisle. Primavera De Filippi note que ces expériences se multiplient et apparaissent dans presque toutes les régions du monde, transformant les individus et les conduisant à ce que Primavera appelle "une révolution invisible".
"Vous pouvez aller à NoWhere en Espagne, MidBurn en Israël, AfrikaBurn en Afrique du Sud, ou Crème Brulée en France. Chaque événement a ses propres particularités !"
Primavera De Filippi
Boma France Campfire 2019
Une révolution invisible
Cette révolution se définit par une conscience collective des nouvelles formes de gouvernement. Primavera explique que cette conscience vient de ceux qui vont dans ces lieux expérimentaux, qui font l'expérience directe d'un système social différent, qui goûtent l'expérience d'un monde nouveau et qui en sentent les contours.
Primavera De Filippi reconnait que la plupart des gens ne peuvent pas assister à Burning Man ou se rendre à d'autres endroits pour participer à ces expériences, car ils n'ont pas les ressources financières nécessaires pour y parvenir. En conséquence, les voix des plus pauvres et des plus marginalisés sont exclues de ces expériences. Il y a donc un risque que les mêmes inégalités et injustices se reproduisent dans ces nouvelles formes de gouvernance.
"Nous ne devrions pas promouvoir une idée en particulier, mais plutôt favoriser de nombreuses expériences aussi locales que possible et aussi proches que possible des besoins de la communauté qui en fait l'expérience."
Primavera De Filippi
Boma France Campfire 2019
Vers une prise de conscience ?
Primavera De Filippi remarque que les personnes qui se rendent aux expériences de grande envergure commencent à rapporter des idées dans leur communauté. "Nous commençons à voir des événements de plus en plus petits. Il y a beaucoup de petites graines qui commencent à émerger."
Lorsqu'il s'agit de répondre à ces nouveaux modèles et à la prise de conscience sociale qu'ils génèrent, Primavera note que les gouvernements ont deux options. "Soit ils ignorent le problème, soit ils s'emparent de cette volonté de changement en créant ces nouveaux espaces. Avec des zones autonomes temporaires, ils encouragent l'expérimentation de nouveaux modèles de gouvernance pouvant être réintégrés sans heurts aux modèles existants."
